Pour ou contre délocaliser la production comptable ?
Le recours à une société implantée au loin pour effectuer les tâches de saisie divise la profession. Certains, à l’image de Didier Rostaing, dirigeant du cabinet éponyme, plébiscitent cette délocalisation alors que d’autres, comme Benoît Violier, n’y voient pas d’intérêt.
Pour : Didier Rostaing, dirigeant du cabinet Rostaing
« Notre cabinet est implanté à Morteau dans le Doubs, ainsi qu’à Orléans, avec 25 collaborateurs. En 2006, nous avons commencé à être confrontés à des difficultés de recrutement car nous sommes en zone frontalière et, parallèlement, j’ai voulu donner un nouvel élan au cabinet. Après prospection, j’ai décidé d’ouvrir un cabinet de droit mauricien à Port-Louis, sur l’île Maurice. Il s’agissait au départ d’effectuer la saisie des dossiers de nos propres clients français. Au fur et à mesure, nous avons demandé à l’équipe mauricienne de plus en plus de préparation et de pré-révision pour nous libérer du temps sur la finalisation des dossiers. Aujourd’hui, cette filiale, Joran, compte 22 personnes et nous permet d’absorber des besoins ponctuels sur des dossiers où nous intervenons dans l’urgence, comme de la reprise de comptabilité. Les collaborateurs locaux évoluent d’opérateurs de saisie vers un rôle de pré-réviseur.

En 2016, nous avons ouvert EGL, notre filiale de Madagascar. EGL compte aujourd’hui 40 salariés et fonctionne en deux huit : une équipe travaille de 7h à 15h et une autre de 15h à 23h. Elle effectue la saisie de documents, qui sont numérisés et déposés sur un coffre-fort mis à notre disposition. Nous avons profité du Covid pour aller vers de l’automatisation mais néanmoins cette automatisation ne nous prive pas de l’intervention humaine pour les vérifications. Les collaborateurs locaux évoluent d’opérateurs de saisie vers un rôle de pré-réviseur. Notre activité délocalisée se développe très bien : à Maurice, nous avons lancé l’accompagnement des entreprises françaises qui s’implantent sur place et, à Madagascar, nous proposons de la saisie en sous-traitance pour nos confrères en France (une activité en croissance de 15 à 20% cette année). Nous avons également obtenu des missions auprès d’entreprises anglo-saxonnes en France, justement parce que nous avons une filiale mauricienne avec des salariés parfaitement bilingues. Nous utilisons des outils modernes. Il y a sur place un encadrement de qualité et le décalage horaire est moindre : ce sont de gros atouts. Nous envisageons désormais d’ouvrir une filiale au Gabon ».
Contre : Benoît Violier, associé-gérant du cabinet Qualians (Absoluce, Inaa group)
« Notre cabinet, basé à Versailles, emploie une quinzaine de salariés pour des missions classiques de comptabilité, fiscales, sociales, juridiques et avec un département commissariat aux comptes. Nous sommes organisés de manière très digitalisée avec une plateforme sur laquelle nos clients déposent leurs pièces scannées. Nous sommes équipés d’outils modernes et nos collaborateurs (dont la fonction est d’ailleurs conseillers en gestion) gèrent l’intégralité de leurs dossiers en étant orientés vers l’accompagnement des dirigeants et le conseil. Nous privilégions ainsi la maîtrise interne et la transformation des données clients en éléments de gestion, afin de fournir aux dirigeants des tableaux de bord mensuels pour la gestion et le suivi de trésorerie. La saisie au kilomètre sans réfléchir à la révision comptable n’a aucun sens aujourd’hui.

Il y a 15-20 ans, l’externalisation de la saisie à l’étranger était à la mode : on entendait « Donnez-nous vos éléments, vous allez gagner du temps… ». A l’époque, c’était déjà compliqué à organiser, ça pouvait faire gagner du temps mais on en perdait derrière en révision. Aujourd’hui, une telle externalisation n’a plus de sens car, grâce aux outils d’automatisation tels que les OCR, la tenue et la saisie comptable prennent beaucoup moins de temps. De plus, il est important de maîtriser les données en interne. La saisie au kilomètre sans réfléchir à la révision comptable n’a aucun sens aujourd’hui. Concrètement, nous proposons trois niveaux d’intervention à nos clients : a minima, ils nous transmettent des documents scannés ou numérisés. Ensuite, certains souhaitent intervenir partiellement et nous leur donnons accès à notre plateforme où ils peuvent intervenir par exemple sur leurs achats ou leurs ventes. C’est la comptabilité dite collaborative. Enfin, certains clients gèrent tout en interne et font appel à nous pour la révision et le bilan. Tout dépend des ressources et des besoins. Nous finalisons actuellement une nouvelle offre qui procurera aux dirigeants une vision dynamique de leur trésorerie en temps réel ainsi qu’une prévision ».